Après quelques années d’existence seulement, Wikipédia est devenue l’un des sites les plus visités du Web.  Il m’a semblé que ce phénomène, certes déconcertant, méritait que l’on tente de mieux le comprendre, sans gommer ses forces ni ses faiblesses.  Aussi, j’ai tenté de formuler quelques points de repère, souhaitant faire une esquisse un tant soit peu plus claire du phénomène, en évitant autant que possible ce qu’à une certaine époque on appelait la « pensée de survol » (le jugement fait de haut et à distance).

Refuser la complaisance n’exclut certainement pas la sympathie, et vice et versa.  Il faut cependant prendre acte qu’en un an, le niveau de fréquentation de Wikipédia a augmenté de manière exponentielle, sans qu’il soit évident (au contraire) qu’il y ait une corrélation positive entre la fréquentation et la compréhension du phénomène.  Dans la mesure où Wikipédia gagne en popularité, il me semble important que les personnes qui la consultent aient une meilleure conscience de son fonctionnement, incluant ses faiblesses.  Et, de fait, je crois qu’il y a de bonnes interrogations critiques qui peuvent être formulées, tant de la part de personnes participant au projet que de personnes l’observant « de l’extérieur ».

Par contre, les « pensées de survol » me semblent aussi douteuses que les faux débats.

Récemment, Rui Nibau a publié un article au sujet de Wikipédia.  Framasoft – un site que j’apprécie – a consenti à reproduire cet article avec une « réplique » de Johann Dréo (aka NoJhan).  Or, dans son article, Rui Nibau me cite d’une manière plus que douteuse.  Il me cite à partir d’un texte où en substance je mentionne que les compétences ne sont pas simplement (ou seulement) attestées par des bouts de papiers ou des postes occupés et qu’il importe de ne pas céder aux sophismes d’appel à l’autorité.  Puis, je précise que de rejeter le sophisme d’appel à l’autorité ne nie évidemment pas que les compétences et capacités ne sont pas égales chez tous et pour tout : ce qui importe, ce sont les arguments et justifications (la manifestation de la compétence, et non le simple appel à l’autorité).

Or, que fait monsieur Nibau de mon texte qu’il cite ?  Eh bien il prend seulement la portion de texte qui l’arrange pour ensuite venir dire que c’est un non-sens car… et là il fait passer dans sa bouche comme une critique l’autre portion de mon idée qu’il a préalablement tronquée.  La bêtise est humaine, mais ce qui est particulier dans ce cas précis, c’est que Rui Nibau travaille (ou a travaillé) comme « journaliste scientifique ».

Ce qui laisse songeur, c’est que dans ce cas très précis, on n’est pas dans des questions plus ou moins complexes d’interprétation : on est au ras les pâquerettes en ce qui concerne l’utilisation d’une citation.  Le procédé de citation opère un travestissement de sens qui me semble des plus grossier.  Comment est-ce qu’un « journaliste scientifique » peut faire un pareil détournement de sens en citant ?

Grâce à Framasoft qui a repris l’article, il m’a été possible de réagir au procédé de citation de monsieur Nibau (aucun commentaire n’était permis sur le texte d’origine).

Question d’en garder une trace sous la main, je reproduis ici ma critique/réaction sur la stratégie de citation opérée par Rui Nibau :

« Bonjour,

Je tiens d’abord à saluer l’auteur, Rui Nibau, d’avoir pris le temps de formuler ses idées sur Wikipédia. Je suis d’accord avec l’auteur pour dire que « Mieux vaut les critiques d’un ami que les compliments d’un ennemi. » Par ailleurs, dans la mesure où Wikipédia gagne en popularité, il me semble important que les personnes qui la consulte aient conscience de ses faiblesses. Cela dit, Rui Nibau me cite d’une bien curieuse manière, et c’est sur ce point précis que je souhaite ici réagir.

Dans la section « Rejet de l’argument d’autorité » Rui Nibau me cite, au sujet de la compétence dont je dis qu’elle doit être distinguée du sophisme d’appel à l’autorité. Puis, Rui Nibau enchaîne en rétorquant : « A première vue, on ne peut que souscrire à cette affirmation. Sauf que dire qu’il y a de multiples façons d’apprendre et de multiples contextes d’apprentissage pour tous les savoirs, donc pour tous les sujets pouvant être abordés dans Wikipédia, est un non-sens. »

Or, pour peu qu’on prenne la peine de lire mon texte, à partir duquel Rui Nibau extrait ma citation, on remarquera qu’au paragraphe suivant, je précise : « Cela dit, il est cependant raisonnable de convenir que la multiplicité des contextes d’apprentissage et de la diversité des appréhensions des connaissances n’abolit pas toutes disparités des acquis cognitifs et qu’il peut subsister un décalage entre savoir quelque chose et croire que l’on sait quelque chose. »

Comment est-ce que cela a pu échapper à Rui Nibau ? Ce n’est pas une nuance perdue dans 150 pages de texte, c’est tout simplement dans le paragraphe qui suit…

Dans la mesure où Rui Nibau se dit « journaliste scientifique, biologiste de formation » (Cf http://forum.framasoft.org/viewtopic.php?t=3660 ), je crois légitime de demeurer interloqué par un tel détournement de sens en citant. Devant une telle utilisation de la citation, m’est-il permis de m’interroger sur la rigueur intellectuelle, pour ne pas parler d’honnêteté intellectuelle ?

Et là, c’est sans compter le paragraphe final de mon texte (toujours le même) où j’ajoute pourtant : « Cela dit, sans donner un statut particulier « d’autorité » à certains collaborateurs plutôt qu’à d’autres, Wikipéd
ia pourrait-elle avoir un système d’évaluation de ses articles ? Larry Sanger évoque la possibilité d’un fork (hypothétique), qui pourrait par exemple être opéré par des universitaires (et peut-être a-t-il une idée en ce sens ?), mais ceci aurait le désavantage d’amoindrir, entre autres, les possibilités qu’offre le développement international et multilingue actuel. Sans nul doute, cependant, que Wikimedia pourrait coordonner elle-même la juxtaposition d’un système d’évaluation à la version qui est en constant développement. » (24 janvier 2005)

De toute évidence, j’aurais aussi dû parler du sophisme de caricature. C’est décidément une bien étrange pratique de la citation qui me semble être opérée par Rui Nibau (« journaliste scientifique, biologiste de formation »)…

Et, soit dit en passant, puisque Rui Nibau évoque le « relativisme des savoirs » (de quel type ? parce qu’il y en a plusieurs), je me permettrais simplement de faire remarquer qu’un relativisme peut autant se nourrir de sophismes d’autorité que de sophismes d’appel à la majorité…

Cordialement, Patrice Létourneau »

Pour de plus amples détails sur cet aspect précis, voir le texte de Rui Nibau repris sur Framasoft et ma réaction dans la section commentaire, sous le titre « Question d’honnêteté intellectuelle », avec l’échange qui s’en suit.

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MISE À JOUR 5 mars 2006 : Rui Nibau a aujourd’hui apporté un correctif à la version de son article qui figure sur Framasoft.