Outre les corrections du cours d’été qui sont maintenant terminées (héhé), je viens de terminer la lecture de Dialogues de sourds. Traité de rhétorique antilogique de Marc Angenot (ISBN 978-2-84205-992-7). Tout à fait captivant ! L’ouvrage peut sembler dense (450 pages bien tassées), mais il se lit dévore très bien.

Au menu, un survol de la rhétorique (et ses rapports avec la dialectique, ainsi qu’avec l’ethos, le pathos et le logos) au travers du temps, la manière de concevoir l’art d’argumenter de l’Antiquité à aujourd’hui, les règles du débat et les normes de l’argumentation, les grands types de logiques argumentatives (qui dresse quelques «idéaux types» des modes de raisonnement), quelques grands dialogues de sourds, le rapport à la doxa… Précisons qu’il s’agit véritablement là d’un essai (et non d’un manuel), qui a la grande originalité de partir du constat que si la rhétorique est «l’art de persuader par le discours», pourtant elle ne persuade que rarement – et, à partir de ce constat, l’auteur tente de comprendre l’univers de la mécompréhension, qu’il ne réduit pas à un «manque d’écoute» ou à de quelconques conditions psychologiques, loin de là, tout en faisant valoir que la rhétorique est loin d’être un «art mineur» et qu’elle est à l’œuvre là où on ne la soupçonne pas toujours.

Globalement, je dois dire qu’il m’a semblé que cet essai, qui a certes un caractère controversé, soulève bien des questions qui me semblent parties prenantes du «quotidien» de l’interrogation philosophique – et des préoccupations intrinsèques à la tâche d’initiation à la philosophie.

Évidemment, c’est une lecture que je recommande.

Quelques extraits (sur le positionnement global) :

«Par ailleurs, admettant la diversité des modes de raisonnement et la fréquence des mal-entendus cognitifs, leur gravité politique et sociale parfois, je ne vois pas le besoin de me rallier à un non moins métaphysique relativisme.
[…]
Je vois un mérite inhérent à ce que Hans Albert appelle la pensée critique qui est simplement une pensée, non pas prétendue capable de se fonder elle-même, non pas de se trouver un point d’appui hors du monde, mais une pensée capable de se mettre en cause elle-même et, en ce sens, ayant renoncé au définitif, capable de progresser.
[…]
Je ne trouve rien à tirer de la vielle conception métaphysique représentant la raison comme une faculté propre à produire des énoncés vrais sur le monde à la façon dont la vision et les autres sens me permettent d’avoir des perceptions vraies du monde (sauf… illusion d’optique). Je ne vois pas non plus d’intérêt à conclure, par raccourci, à l’idée strictement pyrrhonienne et dogmatiquement irrationnelle que le monde est ma représentation et que cela s’arrête là. […]»
– Marc Angenot, Dialogues de sourds. Traité de rhétorique antilogique, Éditions Mille et une nuits, 2008, pages 425-426