En jetant un coup d’œil à mon agrégateur, je remarque le test de blogospherus. Malgré que ce ne soit pas sans un inconfort notable, je mentionne l’existence de ce test…
Bon, autre sujet. Je viens de lire ce texte sur « La promotion de la «démocratie délibérative» inspirée de Habermas » et le risque qu’« Ironiquement, les théories obsédées de délibération se transforment alors en arme rhétorique permettant… d’étouffer toute discussion. » (source).
Ceci m’a renvoyé à une autre interrogation : les fondements de la théorie délibérative d’Habermas. Bien qu’il s’agisse là d’idées en vogue, je ne suis pas certain que la justification de celles-ci soit bien connue. Pour fonder la légitimité de l’approche délibérative en ce qui a trait à l’instauration des normes (à distinguer de l’application de celles-ci), Habermas formule quatre exigences à la validité communicationnelle (intelligibilité, vérité, sincérité, justesse), auxquelles il ajoute l’exigence d’une forme réflexive d’action communicationnelle argumentée, apte à se retourner sur ses propres fondements afin de se justifier. Cette dernière exigence est, en fait, l’exigence que les participants à la délibération aient atteint le stade postconventionnel, selon la classification de Kohlberg (Habermas s’appuie sur les travaux de Kohlberg, à ce sujet). En somme, pour qu’une telle approche délibérative puisse prétendre à la légitimité, il faut notamment que ses participants aient atteint le niveau postconventionnel, correspondant à une autonomie du raisonnement (par opposition à l’hétéronomie). Or, selon les travaux de Kohlberg, le stade postconventionnel ne peut être atteint qu’entre 20 et 30 ans. Qui plus est, il n’y aurait qu’aux alentours de 20 à 25% de la population adulte qui atteindrait ce niveau.
Ainsi, si on suit ces postulats, il faudrait reconnaître qu’en fin de compte, seule une mince portion de la population adulte serait légitimée à prendre part à cette approche délibérative (sans quoi c’est le fondement –la validité– de cette approche qui est sapé). Est-ce qu’on est toujours conscient de ça, lorsqu’on évoque la perspective délibérative d’Habermas ? Considérant cela, on peut se demander si, dans cette perspective, c’est finalement là quelque chose de si différent de la conception épistémocratique de Platon – malgré tous les autres aspects qui les différentient, bien sûr.
L’objection que tu opposes au projet de Habermas me semble tout à fait dirimante. Elle conforte par ailleurs le sentiment de malaise que j’éprouve envers ce philosophe : à chaque fois qu’il m’a été donné de lire cet auteur, j’ai eu l’impression qu’il se contentait de proposer un programme philosophique, au lieu de produire une philosophie en acte. On se perd constamment dans les conditions de possibilité du genre : une discussion sans contraintes se produirait à la condition que… Notre époque réclame une pensée qui mord dans le réel, non pas une philosophie programmatique.
Je partage tout à fait cette impression que tu évoques, Guy. Cette approche programmatique (et formaliste) me semble desséchée et, qui plus est, desséchante.
Par ailleurs, merci pour cette qualification d’objection dirimante (à cette perspective) – ce qui, je dois humblement le dire, m’a permis de découvrir ce joli mot que je ne connaissais pas.
Clément m’a rapporté ton billet Patrice (pourquoi l’avais-je manqué?) et je ne suis pas malheureux de l’avoir lu. La découverte de ce nouveau mot (dirimant) et la «clause Kohlberg» (que je connais bien) qui apporte un gros bémol au concept de «démocratie délibérative» ne sont que deux raisons de plus de passer par ici… Je vais commenter à la suite de mon billet pour garder une trace qui évitera de trop investir de temps dans la théorie de Habermas.
En même temps, je te dirais que je suis déçu parce que je n’aime pas beaucoup cette idée de devoir s’affirmer sur le dos des autres pour faire valoir un trait culturel. J’aimais bien la perspective du dialogue comme «assurance» d’épanouissement collectif.
En te lisant, j’ai repensé à cette petite plaquette écrite par Jacques Dufresne, «La démocratie athénienne» ( http://agora.qc.ca/biblio/democratie.html ). Elle m’avait beaucoup instruit sur les dangers d’une démocratie dominée par une classe moyenne trop basse dans l’échelle de Kohlberg (Dufresne ne cite pas cet auteur, mais c’est à cela que je pensais quand j’avais lu la citation suivante…) :
«C’est la classe moyenne qui assure aux démocraties une stabilité et une durée que n’a pas l’oligarchie. Elle est plus nombreuse et elle parvient plus facilement aux honneurs dans la démocratie que dans l’oligarchie. Mais si la multitude des pauvres devient excessive, sans que la classe moyenne augmente dans la même proportion, le déclin arrive, et l’État ne tarde pas à périr.»
Je reviens constamment à ce point dans ma vie d’éducateur; comment augmenter la proportion d’individus atteignant le «stade postconventionnel» dans notre société. Dans la théorie de Kohlberg (j’y vais de mémoire), il faut traiter l’individu dans le stade immédiatement plus haut que celui qu’il occupe pour le faire avancer…
Les exercices de «démocratie délibérative» pourraient devenir de fameux stimulants sous un encadrement bien précis, qu’en penses-tu? On ne peut toujours bien pas se mettre à privilégier l’aristocratie comme idéal de société!!!
Je crois saisir un peu de l’émotion de ta dernière phrase, Mario, mais en même temps j’ai de la difficulté à bien saisir si elle a un lien avec la phrase qui la précède. Parce qu’au fond, l’approche délibérative d’Habermas n’est justement pas étrangère à une certaine aristocratie (aristos = excellent, méritant).
La brise qu’on peut ressentir à l’idée de « démocratie délibérative » provient, il me semble, surtout du fait qu’y pointe une volonté que ce soit l’échange des idées qui prime (peu importe le curriculum de la personne qui les articule). Mais en situation concrète, cette ouverture peut aussi nuire à l’échange des idées : on peut tout autant tourner à vide (en ignorant que des géants nous prêtent leurs épaules pour s’y hisser), que tomber dans les pièges du populisme. Dans cette mesure, on peut comprendre pourquoi il serait souhaitable que les personnes instaurant des normes (dont éventuellement des lois…) aient atteint une pensée autonome – le niveau postconventionnel de Kohlberg. Mais, bien sûr, il faut alors voir ce que ça implique d’un point de vue pratique…
C’est délicat, cette question de la délibération. J’ai vu que sur ton billet, Mario, tu déplorais ce qui a animé les participants à un congrès. Si cette évocation d’une sorte d’essentialisme non défini est certes déplorable, on doit dire qu’en même temps ils participaient à un exercice de « délibération » – bien qu’évidemment politisé. Par ailleurs, on peut sans doute penser que les émissions récentes que la Première chaîne de Radio-Canada a consacrées à Hubert Aquin constituaient aussi des contributions à la réflexion sur les idées de « nation » et de diversité culturelle – et qu’en cela elles se situent aussi dans une dynamique de délibération, mais bien sûr pas de la même manière. Et l’essayiste qui consacrerait un an ou deux à creuser une interrogation sur ces mêmes sujets, où doit-on insérer sa « lecture » dans la délibération ? Et nos désaccords ou accords ? Enfin bref, je suis sceptique sur l’avancé réelle que représente les « conditions de possibilité » d’Habermas (et Apel) – n’est-ce pas « beaucoup de bruit pour rien » ? Cela étant dit, si les « exercices de démocratie délibérative » ne sont que des « exercices » sans pouvoir de décision tangible, est-ce qu’on ne trompe pas les participants ? (Il y a certes bien des avantages au dialogue, mais il ne faudrait pas que les choses soient présentées pour ce qu’elles ne sont pas.)
Ce n’est effectivement pas intéressant « cette idée de devoir s’affirmer sur le dos des autres pour faire valoir un trait culturel ». Mais refuser cette voie, est-ce que ça ne présuppose pas justement un effort de décentrement de soi, qui nous renvoie d’une certaine manière à Kohlberg ? Si la délibération se fait drainer par des jeux de pressions, on n’y gagne pas vraiment.
D’ailleurs, ça me fait repenser à cet extrait que je citais récemment :
Or, si on fait de la délibération une sorte de solution (trop) systématique, il me semble qu’on risque d’enfermer le dialogue dans une question d’appartenance : d’une part parce que, il faut le dire franchement, c’est difficile d’argumenter sur le fond des choses (et les points d’appui ne tombent pas du ciel), d’autre part parce qu’on ne peut évidemment pas choisir ce qu’on ne connaît pas. C’est là qu’on peut saisir l’importance (vitale) d’une culture fondamentale étendue, qui permet(trait) de « se redéfinir » (et d’être davantage auto-nome). Mais pour ce faire, tout cela présuppose qu’on consente à admettre qu’il y a des œuvres plus valables que d’autres, qu’il y a des pensées plus porteuses que d’autres, des livres et des œuvres avec lesquels on se doit « d’entrer en dialogue », qu’on a le devoir de s’approprier divers courants majeurs de pensée – et qu’il faut en maîtriser qui s’opposent, pour bien en saisir les enjeux. Bref, ça implique de l’humilité, mais aussi la reconnaissance qu’il y a des hiérarchies dans les œuvres intellectuelles. Mais bien sûr, ces hiérarchies ne sont pas absolues, il faut dès lors se résoudre à accepter des sélections, des prises de perspectives – ce qui implique, si on peut dire, de ne pas céder à une « haine de soi » au sein même de « notre » univers du savoir et des constellations d’idées qui nous surplombent ; tout en s’aventurant dans une interrogation sur ce qui peut être digne de constituer un « fond commun » dans l’horizon des civilisations.
Décidément, on dirait qu’on n’en sort pas, non ?
excusez-moi d’intervenir dans votre site qui me semble un site de connaisseurs sur le sujet.
Mais j’ai besoin de comprendre les points essentiels de la vision de la théorie de la communication selon Habermas en ce qui concerne l’espace public et la théorie délibérative – les quatre exigences à la validité communicationnelle (intelligibilité, vérité, sincérité, justesse).
Pour l’instant, je n’ai pu lire que quelques extraits de livres d’Habermas (et quelques entretiens publiés sur le web) mais les extraits de livres m’ont paru confus, peut-être tout simplement parce que je débute mon travail sur le sujet.
Comment et où avoir une vision d’ensemble des concepts définis par Habermas, en termes clairs ? quelque chose de plus pédagogique, qui permette de comprendre, pour un débutant en la matière, les principales idées de cet auteur.
si vous avez quelques minutes pour me répondre…
j’en serai ravie. Merci d’avance
Bonjour lydie réné,
Pour une introduction globale à Habermas, il y a entre autres les deux livres suivants qui peuvent s’avérer utiles :
– Stéphane Haber, Jürgen Habermas : une introduction, Éditions Presse Pocket, collection Agora, 2001. (isbn 2266097733)
– Christian Bouchindhomme, Le vocabulaire de Habermas, Éditions Ellipses, 2002. (isbn 272981292X)
Pour ce qui est du deuxième livre, il y a une recension qui en est faite, si vous voulez y jeter un coup d’œil avant de vous y plonger, là :
http://www.ac-amiens.fr/pedagogie/philosophie/lectures/Bouchindhomme.htm
Par ailleurs, si vous êtes à l’aise avec l’anglais, vous pouvez aussi jeter un coup d’œil sur l’entrée de la Standford Encyclopedia of Philosophy, là :
http://plato.stanford.edu/entries/habermas/
Je vous souhaite de bonnes lectures!